Ann Avril : «Lutter contre la malnutrition est l'affaire de tous»
En novembre dernier, l’UNICEF France a accompagné une délégation composée de Brieuc Pont, envoyé spécial de la France sur la nutrition et secrétaire général du sommet Nutrition For Growth (N4G), de la députée Éléonore Caroit, lors d’une mission au Bangladesh. Ann Avril, directrice générale de l’UNICEF France, faisait partie de cette délégation et témoigne.
Vous vous êtes récemment rendue au Bangladesh. Pourquoi avoir choisi ce pays ?
“Ce voyage avait un double objectif : nous permettre de mieux appréhender les grands enjeux de la nutrition, mais aussi de visiter les programmes menés par les équipes de l’UNICEF sur le terrain ; en particulier en faveur des réfugiés Rohingyas et des communautés hôtes du camp de Cox’s Bazar. ”
Il faut savoir que le Bangladesh est l’un des pays les plus densément peuplés au monde avec 170 millions d’habitants.
Il fait face à de nombreux défis importants dont la malnutrition qui touche un grand nombre d’enfants. Selon l’UNICEF, 28 % des enfants de moins de 5 ans souffrent de retard de croissance, et 10 % présentent des signes d’émaciation sévère.
C’est aussi le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés au monde. En 2017, fuyant les violences au Myanmar, des centaines de milliers de Rohingyas ont fui vers Cox’s Bazar, dans le sud du pays. Sept ans plus tard, un million d’entre eux, dont près de 500 000 enfants, y vivent encore, et dépendent entièrement de l’aide humanitaire.
“Dans ces camps, les constats de malnutrition chez les enfants sont encore plus alarmants. Près de 10 % des enfants sont atteints de malnutrition sévère et nécessitent une intervention immédiate pour éviter des conséquences irréversibles sur leur développement. ”
Pouvez-vous nous parler des programmes que vous avez visités avec les équipes de l’UNICEF ?
J’ai visité un camp de réfugiés rohingyas à Ukhiya, dans le district de Cox’s Bazar, où j’ai vu des visages d’enfants épuisés et affaiblis par la faim. Dans ces camps, il est difficile d’accéder à une nourriture variée. Et de nombreuses mères n’ont pas les connaissances nécessaires pour assurer une alimentation équilibrée à leurs bébés.
En coordination avec le gouvernement, l’UNICEF soutient l’accès aux services de nutrition, y compris le suivi de la croissance des enfants et des jeunes mères, mène des campagnes de sensibilisation à une nourriture saine et variée pour le bon développement des plus jeunes.
A Pekua Uapzila, toujours dans le district de Cox’s Bazar, l’UNICEF a mis en place des programmes innovants comme une école d’agriculture, des ateliers de jardinage familial et des démonstrations culinaires pour promouvoir la diversité alimentaire.
Nous avons également visité un Centre de Prise en Charge Intégrée de la Malnutrition dans le camp 11 de Kutupalong où les enfants qui souffrent de malnutrition sévère bénéficient de soins de santé, dont des compléments alimentaires thérapeutiques. Les jeunes mamans reçoivent des conseils sur l’allaitement ainsi que des formations pour offrir une alimentation équilibrée à leurs enfants.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué pendant votre mission ?
J’ai été très évidemment très marquée par les visages émaciés de nombreux enfants qui vivent dans des conditions de grande pauvreté et de misère. Il est impossible de rester insensible à cette souffrance vécue par ces familles, tellement vulnérables et presque totalement dépendantes de l’aide apportée par l’UNICEF, ses partenaires et les nombreuses ONG présentes sur place. Qu’une telle réalité persiste encore aujourd’hui est inimaginable, bien qu’elle affecte malheureusement de nombreuses régions du monde.
Mais aussi, voir l’impact des actions de l’UNICEF et de ses partenaires est source d’espoir. J’ai été particulièrement émue par la rencontre d’une jeune femme qui vit à Cox’s Bazar et qui est un véritable modèle de résilience.
Abandonnée par son mari alors qu’elle était enceinte de son deuxième enfant, elle a dû retourner chez sa mère, elle-même veuve, avec des enfants à charge. Néanmoins elle n’a pas baissé les bras. Elle a bénéficié d’un programme d’aide mis en place par l’UNICEF pour pouvoir vivre en totale autonomie et élever ses enfants.
“Cette histoire montre qu’avec des ressources adaptées et un accompagnement efficace, il est possible de transformer des vies et de briser le cycle de la malnutrition. ”
Le sommet Nutrition for Growth (N4G) se tiendra à Paris le 27 et le 28 mars. Quel y sera le rôle de l’UNICEF ?
Cet événement international réunira des chefs d’Etat, des représentants de nombreux pays, des organisations internationales, des experts, entreprises et acteurs de la société civile pour dialoguer, mais surtout convaincre de la nécessité d’accroître les engagements financiers sur la nutrition, faire avancer les politiques publiques et favoriser des partenariats innovants.
Le rôle de l’UNICEF est de veiller à ce que la malnutrition infantile soit au cœur de ces discussions et des décisions qui seront prises. Notre rôle est également de rappeler que l’accès à la nutrition est un droit fondamental pour chaque enfant. Et qu’il est inscrit dans la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.
Nous porterons un discours fort en faveur de la nutrition et notamment celui qui concerne la prise en compte des 1000 premiers jours de la vie d’un enfant, depuis sa conception. Cette période est cruciale et c’est là que tout se joue. Une bonne nutrition durant ces 1 000 premiers jours est la meilleure protection contre la maladie, et dans les cas les plus graves, la mort.
A l’issue du sommet, nous souhaitons aboutir à des engagements financiers concrets de la part des chefs d’État et des décideurs politiques, ainsi qu’à la mise en place de programmes adaptés pour lutter efficacement contre la malnutrition. Ces engagements sont indispensables pour lutter contre ce fléau.
“Depuis 25 ans, nous avons constaté des avancées spectaculaires sur le terrain. J’ai moi-même pu le voir récemment au Bangladesh, ainsi que dans de nombreux autres pays. J’ai confiance en la capacité de l’UNICEF à lutter durablement contre la malnutrition. C’est notre responsabilité envers les enfants.”