Déclaration de Ted Chaiban, directeur général adjoint de l’UNICEF, à l’issue de sa récente mission en Israël, à Gaza et en Cisjordanie
New York, 1er août 2025 – « Je viens de rentrer d’une mission de cinq jours en Israël, à Gaza et en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, et c’est avec un sentiment d’urgence et de profonde préoccupation que je m’adresse à vous aujourd’hui.
Il s’agissait de ma quatrième visite à Gaza depuis le début de la guerre, survenue après les horreurs du 7 octobre, elles-mêmes ancrées dans des décennies de conflit non résolu. On croit savoir à quoi s’attendre en voyant les images dans les médias, mais être sur place reste profondément bouleversant.
Les marques d’une profonde souffrance et de la faim étaient visibles sur les visages des familles et des enfants. Depuis le début de la guerre, plus de 18 000 enfants ont été tués à Gaza – soit en moyenne 28 enfants par jour, l’équivalent d’une classe qui disparaît quotidiennement. Les enfants ont perdu des êtres chers, ils ont faim, ils ont peur et ils sont traumatisés.
Une mission marquée par l’urgence et la souffrance
Gaza est aujourd’hui au bord de la famine. Si la situation s’est dégradée progressivement, deux indicateurs critiques ont désormais franchi le seuil de famine : une personne sur trois y passe plusieurs jours sans manger, et le taux de malnutrition aiguë globale dépasse 16,5 % dans la ville de Gaza. Plus de 320 000 jeunes enfants sont désormais exposés à un risque élevé de malnutrition aiguë.
Lundi, alors que j’étais à Gaza, j’ai rencontré les familles de dix enfants tués et de dix-neuf autres blessés lors d’une frappe aérienne israélienne. Ces enfants faisaient la queue avec leurs parents pour recevoir de la nourriture dans un centre nutritionnel soutenu par l’UNICEF, à Deir el-Balah. Parmi eux, j’ai rencontré Ahmed, 10 ans, accompagné de son père. Ce jour-là, il attendait avec sa sœur Samah, âgée de 13 ans. Elle a été tuée. Une photo bouleversante le montre en train d’agiter désespérément les bras pour tenter d’arrêter une charrette tirée par un âne, dans l’espoir de transporter sa sœur à l’hôpital. Mais il n’a pas pu la sauver. Ahmed est aujourd’hui profondément traumatisé. Il ne comprend pas ce qui lui arrive.
Cela ne devrait tout simplement jamais arriver.
Des témoignages poignants
Les enfants que j’ai rencontrés ne sont pas victimes d’un tremblement de terre ou d’une inondation. Ils sont affamés, bombardés, déplacés – victimes d’une guerre.
Dans un centre de stabilisation à Gaza, j’ai vu des nourrissons souffrant de malnutrition aiguë, dont les corps n’étaient plus que peau et os. Leurs mères, assises à leurs côtés, étaient désespérées et épuisées. L’une d’elles m’a confié ne plus pouvoir allaiter, elle-même affamée.
L’UNICEF fait tout son possible pour répondre à cette urgence : nous encourageons l’allaitement maternel, distribuons du lait infantile et soignons les enfants gravement malnutris. Mais après 22 mois de guerre et deux mois de blocus – certes partiellement assoupli – les besoins restent immenses. L’aide humanitaire n’arrive pas encore assez vite ni à la hauteur nécessaire. Au milieu de tout cela, notre personnel à Gaza, dont la plupart a subi des pertes personnelles dévastatrices, continue de travailler jour et nuit.
L’UNICEF fournit chaque jour de l’eau potable à 600 000 enfants dans le nord de Gaza, soit 2,4 millions de litres au total. Cela représente en moyenne 5 à 6 litres d’eau par personne et par jour, une amélioration par rapport à la situation antérieure, mais toujours bien en dessous du seuil minimal de survie. Nous avons rétabli la chaîne du froid pour les vaccins – vous vous souvenez de la campagne de vaccination contre la polio en février – et nous poursuivons la vaccination des enfants. Par ailleurs, nous apportons un soutien psychosocial essentiel aux enfants traumatisés par les violences qu’ils ont subies. Nous sauvons des nouveau-nés, aidons à réunir des familles séparées, aussi bien à l’intérieur de Gaza que parfois à l’étranger, et distribuons du lait maternisé aux bébés les plus vulnérables. Malgré ces efforts, beaucoup reste à faire pour répondre aux besoins immenses sur le terrain.
Protection des civils et enfants : une priorité
L’accès humanitaire s’est légèrement amélioré suite aux pauses annoncées par Israël. Plus de 1 500 camions chargés de fournitures vitales sont prêts à partir depuis les couloirs en Égypte, en Jordanie, à Ashdod et en Turquie. Certains ont déjà commencé leur acheminement, et ces derniers jours, nous avons livré 33 camions de lait maternisé, de biscuits à haute teneur énergétique et de kits d’hygiène. Cependant, cela ne représente qu’une faible part des besoins réels. Une grande partie de notre travail consiste donc à plaider pour une augmentation de l’aide humanitaire et à maintenir un dialogue constant avec les autorités israéliennes à Jérusalem et Tel-Aviv
Nous avons fermement demandé une révision des règles d’engagement militaires afin de mieux protéger les civils, en particulier les enfants. Aucun enfant ne devrait être tué alors qu’il fait la queue dans un centre nutritionnel ou qu’il va chercher de l’eau. De même, personne ne devrait être poussé au désespoir au point de risquer sa vie en se précipitant vers un convoi humanitaire.
Nous avons demandé une augmentation significative de l’aide humanitaire et du trafic commercial – visant près de 500 camions par jour – afin de stabiliser la situation et d’atténuer le désespoir de la population. Cette mesure vise aussi à réduire les pillages, qu’il s’agisse de ce que nous appelons « l’auto-distribution », lorsque des populations s’en prennent à un convoi, ou des pillages perpétrés par des groupes armés face à la hausse des prix des denrées alimentaires.
Inonder Gaza d’aide humanitaire
Pour répondre à cette urgence, il faut inonder la bande de Gaza de fournitures, en utilisant tous les canaux et toutes les voies d’accès disponibles. L’aide humanitaire seule ne suffira pas : c’est pourquoi nous avons aussi plaidé pour l’entrée de marchandises commerciales, notamment des œufs, du lait et d’autres produits de première nécessité, qui viennent compléter l’aide apportée par la communauté humanitaire.
Nous avons fortement insisté pour que davantage d’articles à « double usage » ainsi que des quantités supplémentaires de carburant soient autorisés, afin de permettre la réparation du système d’approvisionnement en eau – canalisations, raccords et générateurs. Avec des températures atteignant 40 degrés à Gaza et une rareté de l’eau, le risque d’épidémie se fait désormais pesant partout.
Nous poursuivrons nos efforts pour que les pauses humanitaires ne provoquent pas de nouveaux déplacements, qui contraindraient la population à se concentrer dans une zone encore plus restreinte.
L’échange a été constructif et a permis une légère amélioration de l’accès. Nous devons désormais nous assurer que les mesures annoncées, ainsi que les points que j’ai soulevés, soient intégralement mises en œuvre pour répondre efficacement à la situation.
Situation alarmante aussi en Cisjordanie
Je souhaite également souligner que je me suis rendu en Cisjordanie, où les enfants sont eux aussi en grand danger. Depuis le début de l’année, 39 enfants palestiniens y ont été tués. J’ai rencontré une communauté bédouine à l’est de Ramallah, déplacée de force en raison des violences.
Nous avons aussi rencontré des enfants israéliens affectés par la guerre, des enfants qui ont vécu la peur, la perte et le déplacement. Les enfants ne déclenchent pas les conflits, mais ce sont eux qui en paient le plus lourd tribut.
Aujourd’hui, cependant, je veux que notre attention reste concentrée sur Gaza, où les souffrances sont les plus profondes et où les enfants meurent à un rythme sans précédent.
Vers un cessez-le-feu durable et une solution politique
Nous sommes à un moment décisif. Les décisions prises aujourd’hui détermineront si des dizaines de milliers d’enfants survivront ou périront. Nous savons ce qui doit être fait et ce qui peut l’être. L’ONU et les ONG de la communauté humanitaire peuvent relever ce défi, tout comme le trafic commercial, à condition que les mesures nécessaires soient mises en place pour garantir l’accès et, à terme, acheminer suffisamment de marchandises dans la bande de Gaza, contribuant ainsi à atténuer certains problèmes d’ordre public.
Les financements sont essentiels : l’appel de l’UNICEF pour Gaza est fortement sous-financé, avec seulement 30 % des besoins en santé et nutrition couverts à ce jour.
Il faut garder à l’esprit que les pauses humanitaires ne sont pas des cessez-le-feu. Nous espérons vivement que les parties parviendront à un accord pour un cessez-le-feu durable, ainsi que pour la libération de tous les otages encore détenus par le Hamas et d’autres groupes armés. Cette situation perdure depuis bien trop longtemps, 22 mois déjà. Honnêtement, je ne pensais pas que nous en serions là après tout ce temps de conflit. Ce qui se déroule sur le terrain est profondément inhumain.
Ce dont les enfants ont besoin, tous les enfants, sans distinction de communauté, c’est d’un cessez-le-feu pérenne et d’une solution politique.
Merci. »