Tenue à bout de bras par les seuls professionnels, la France ne respecte pas sa promesse aux 400 000 enfants qu’elle est censée protéger. Dans une tribune publiée dans Libération, le collectif les 400 000, réunissant les principales associations du secteur, appelle à une mobilisation nationale le 15 mai.
Paris, le 8 mai 2025 – La France peut-elle encore tenir sa promesse aux 400 000 enfants mis sous sa protection ? La commission d’enquête a mené ses travaux. Des centaines de pages ont été produites – s’ajoutant aux milliers d’autres, depuis trois ans. Un plan d’action ministériel a été annoncé, encore, sans moyens et sans calendrier – s’ajoutant aux précédents, dont personne n’a pris la peine d’évaluer rigoureusement les résultats produits…
Pourtant, à hauteur d’enfant, la situation se dégrade. Plus de 2 000 d’entre eux vivaient à la rue en septembre 2024, dont près de 500 avaient moins de 3 ans. Faute de familles d’accueil en nombre suffisant, de plus en plus de bébés placés passent les premières années de leur vie dans des pouponnières, parfois débordées, à défaut de taux d’encadrement réellement applicables. En 2024 toujours, plus de 3 000 enfants en danger immédiat dans leur famille devaient être placés, par décision du juge, mais «patientaient» sur liste d’attente, faute de place pour les accueillir.
Pour les mêmes raisons de saturation, les fratries sont souvent séparées, malgré la loi. Pour libérer des places, il n’est pas rare que des enfants soient orientés vers des appartements « en semi-autonomie » dès l’âge de 14 ou 15 ans – parfois, c’est l’hôtel, en particulier pour les mineurs non accompagnés, malgré, là aussi, l’interdiction claire et nette de la loi. Les mesures d’action éducative en milieu ouvert, quant à elles, mettent parfois plus d’un an à être mises en œuvre après une décision du juge des enfants. Ce délai contribue à l’aggravation des situations familiales et peut conduire, in fine, à des placements qui auraient pu être évités.
Protéger les enfants du danger d’où qu’il vienne
Force est de constater que les professionnels de la protection de l’enfance peinent de plus en plus à remplir leur mission fondamentale, «tenir notre promesse aux enfants», comme l’écrit Aude Kerivel, sociologue, dans un essai récent Protéger l’enfance, ( Flammarion, 2024 ). Cette promesse, c’est de les protéger du danger, d’où qu’il vienne. C’est aussi de les traiter dignement et de répondre à leurs besoins fondamentaux – notamment la sécurité affective et relationnelle. C’est également, lorsque cela est possible, d’intervenir de manière préventive auprès de leurs parents par un accompagnement systématique à visée universelle.
C’est enfin de les aider, à l’approche de la majorité, à construire un avenir au sein de la société, et de lutter contre tous les déterminismes auxquels ils font face : les problèmes de santé (avec une perte d’espérance de vie allant jusqu’à vingt ans), la vulnérabilité liée à un handicap (un quart d’entre eux est en situation de handicap), l’orientation massive vers des filières non choisies (40 % vers un CAP, contre 11 % pour l’ensemble des jeunes), l’exclusion sociale (la moitié des enfants placés connaissent la précarité résidentielle à leur sortie de l’aide sociale à l’enfance.
Pour ces enfants, les professionnels forment une chaîne de solidarité sociale qui va des services d’assistance sociale aux éducateurs, en passant par les écoutants du 119, les magistrats, les avocats et les soignants, ainsi que les encadrants qui font tenir des plannings impossibles. L’implication de ces professionnels, malgré la surcharge, permet de sauver, chaque année, des milliers d’enfants d’une maldonne qu’ils n’ont pas demandée. Cependant notre système de protection de l’enfance se délabre : il ne repose plus que sur la confiance qu’on place en ces professionnels à continuer de le porter à bout de bras.
Combien d’enfants se sont sauvés eux-mêmes, malgré ce système ? Combien auraient pu être mis à l’abri plus tôt ? Combien peuvent nommer ce professionnel ou ce bénévole qui, malgré les vents contraires, a tout simplement été là pour eux ? Impossible de le dire aujourd’hui.
En revanche, nous savons que les conséquences du cumul d’événements traumatiques subis pendant l’enfance, mal pris en charge, a coûté à notre société 34,5 milliards d’euros en 2019. Nous savons que le développement de l’intérim chez les professionnels de l’enfance, notamment lucratif, détruit la relation éducative avec les enfants et constitue un gouffre financier. Le gâchis qui se joue sous nos yeux est incompréhensible, tandis que les scandales, comme le procès de Châteauroux, contribuent à entériner la pire crise de vocations que n’ait jamais connue notre secteur.
Le 25 septembre dernier, réunis sous la bannière des « 400 000 », pour les 400 000 enfants concernés par une mesure de protection de l’enfance aujourd’hui, nous étions des milliers de professionnels, de bénévoles et de premiers concernés à marcher à Paris pour que les pouvoirs publics, et plus largement tous les Français, se saisissent rapidement des nombreuses propositions que nous formulons. Le 15 mai prochain, dans huit villes de France, nous manifesterons à nouveau pour que naisse enfin le premier mouvement social en faveur de l’enfance.
Les premiers signataires :
- Didier Tronche Président du Cnape
- Nathalie Tehio Présidente de la Ligue des droits de l’homme
- Adeline Hazan Présidente d’Unicef France
- Diodio Metro Présidente d’Adepape 95
- Vincent Beaugrand Directeur général de France terre d’asile
- Claudine Jeudy Présidente d’Enfance et Partage
- Julien Blot Président de Gepso
- Pascal Brice Président de la Fédération des acteurs de la solidarité
- Alain Raoul Président de Nexem
- Daniel Goldberg Président d’Uniopss
- Joëlle Sicamois Directrice générale de la Fondation pour l’enfance
- Catherine Delorme Présidente de la Fédération addiction
- Justine Atlan Directrice générale de l’Association e-enfance /3018
- Jean-Marc Sauvé Président de la Fondation apprentis d’Auteuil
- Michel Hochart Directeur général de la Fondation Droit d’enfance
- Laurence Scheibel Présidente du CNDPF
- Jacques Lepetit Président de la FN3S
- Fanélie Carrey-Conte Secrétaire générale de la Cimade
- Pascale Ribes Présidente d’APF France Handicap
- Fernand Vanobberghen Président de la Fédération générale des PEP
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