À Mayotte, entre crise climatique, pauvreté extrême et obstacles administratifs, des milliers d’enfants voient leurs droits bafoués. Sur place, la situation est alarmante. Pourtant, elle pourrait empirer. Alors que le projet de loi pour la refondation de Mayotte est en discussion à l’Assemblée nationale, l’UNICEF France exprime de vives préoccupations.
Ann Avril, directrice de l’UNICEF France, s’est rendue dans l’île en avril dernier. Elle nous livre son analyse et plaide en faveur d’un projet de loi qui place les droits de l’enfant au cœur de la refondation de Mayotte.
Six mois après le passage des cyclones Chido et Dikeledi, quelle est la situation des enfants ?
La situation s’est aggravée pour la majorité des enfants qui vivent à Mayotte. Nombre d’entre eux se sont retrouvés livrés à eux-mêmes, notamment dans les bidonvilles, où les associations n’ont pas obtenu l’autorisation de l’État pour intervenir.
Les coupures d’eau, qui rythmaient déjà le quotidien des populations, sont devenues encore plus régulières. Aujourd’hui encore, l’ensemble de l’archipel est privé d’eau potable tous les deux jours.
L’ accès à la nourriture s’est également dégradé. Nombreux sont les enfants qui, selon les associations et les témoignages des familles, souffrent de la faim. Lors de notre mission sur le terrain, nous avons plusieurs fois été arrêtés en pleine rue par des enfants qui demandaient à manger et à boire. Nous avons constaté combien la collation fournie par l’école le midi était essentielle pour beaucoup d’enfants et d’adolescents.
À ces conditions de vie ahurissantes s’ajoutent des difficultés liées au logement. Les familles qui vivaient pour la plupart dans des habitations en tôle ont tout perdu lorsque celles-ci ont été violemment balayées par les cyclones.
Cette accumulation de crises a un effet dévastateur sur la vie des enfants. Plusieurs d’entre eux sont encore traumatisés et se cachent sous les lits ou les tables dès qu’il y a du vent.
“La situation est alarmante. Pourtant, le projet de loi sur la refondation de Mayotte pourrait aggraver les choses.”
Le texte ne prévoit pas de mesures ambitieuses et suffisantes pour améliorer les conditions d’accès à l’eau et à la nourriture. Il souhaite également faciliter la destruction des habitations en tôle mais ne propose pas de plan de relogement pour les enfants et les familles qui y vivent. Il n’est pas acceptable que dans un pays comme le nôtre, on continue à mettre des familles à la rue.
Les enfants ont-ils pu retourner à l’école depuis les cyclones ? Quels sont les enjeux liés à leur scolarité ?
Si certains établissements scolaires ont servi de refuges à de nombreuses familles, plusieurs autres ont été endommagés par Chido et n’ont pas pu rouvrir leur porte à la rentrée, fin janvier 2025. À ce jour, le nombre de salles de classe disponibles est insuffisant. Résultat, les élèves n’ont que des demi-journées de cours : un groupe le matin, puis un second l’après-midi.
Au-delà des difficultés pour les élèves scolarisés, des milliers d’enfants eux, n’ont pas accès à l’éducation.
“En 2023, on estimait qu’entre 5 500 et 9 500 enfants n’étaient pas scolarisés.”
En rupture totale avec la CIDE, et la loi française, les enfants qui ont des parents de nationalité étrangère et qui vivent en situation de précarité (bidonvilles, hébergements) se voient souvent refuser l’inscription à l’école primaire.
Autre obstacle majeur, la restauration scolaire est presque inexistante. Un seul élève sur 5 bénéficie aujourd’hui d’un repas chaud. Pour les autres, les établissements proposent uniquement une collation froide (jus, chips, biscuits), parfois l’unique repas de leur journée.
Le décrochage scolaire est lui aussi une problématique récurrente de l’archipel. Les causes sont nombreuses : dangerosité des routes pour rejoindre son école, transport scolaires insuffisants, incapacité à prendre en compte la langue maternelle dans les apprentissages, difficultés liées au statut migratoire des parents, etc.
Il en résulte que de nombreux adolescents, livrés à eux-mêmes, sont exploités par des bandes armées. Ces enfants sont contraints de faire des choses qu’aucun enfant ne devrait faire.
A l’inverse j’ai rencontré de nombreux jeunes qui rêvaient de faire des études, d’avoir un emploi, enseignant, policier, médecin, d’avoir juste un avenir normal. Je voudrais aussi saluer le dévouement des équipes que j’ai rencontrées notamment dans les établissements scolaires et les associations. Elles ne lâchent rien malgré ces conditions extrêmement difficiles.
Plusieurs différences existent aujourd’hui entre le droit applicable en Hexagone et celui applicable à Mayotte. Que pensez-vous des nouvelles dérogations prévues dans le projet de loi sur la refondation de Mayotte actuellement discuté à l’Assemblée nationale ?
Un des 4 principes directeurs de la Convention internationale des droits de l’enfant est celui de la non-discrimination. Tous les enfants, où qu’ils soient, doivent avoir les mêmes droits.
“Malheureusement, en France, la réalité est toute autre. Entre l’Hexagone et Mayotte, les droits de l’enfant ne sont pas appliqués de la même manière.”
Depuis janvier 2024 par exemple, un enfant ne peut plus être placé dans un centre de rétention administratif avec sa famille en vue d’une expulsion du territoire français. A Mayotte, où 3 362 enfants ont été enfermés en 2023, cette interdiction ne devrait entrer en vigueur qu’à partir de 2027. Pourtant, le projet de loi sur la refondation de Mayotte pourrait revenir sur cette interdiction en créant des lieux “nouveaux” mais qui n’en seraient pas moins des lieux d’enfermement.
Autre exemple flagrant, un enfant étranger ne peut avoir un document de circulation et se déplacer avec ses parents hors de l’archipel, qu’à condition que ces derniers soient en situation régulière, mais aussi que l’enfant soit né en France. Cette deuxième condition ne s’applique nulle part ailleurs en France. De nombreux enfants restent ainsi bloqués sur le territoire alors que leurs parents obtiennent un visa pour sortir du territoire.
Ces exemples ne sont que quelques-uns parmi tant d’autres. Ils sont la preuve irréfutable qu’à Mayotte, les droits de l’enfant sont sans cesse menacés et ne sont pas au même niveau ceux des autres enfants vivant en France.