Alors que les affaires Bétharram et Le Scouarnec illustrent une fois de plus l’ampleur des violences faites aux enfants et le silence qui les entoure, Adeline Hazan, présidente de l’UNICEF France, prend la parole. Elle alerte sur les défaillances du système de protection de l’enfance, le manque de reconnaissance de la parole des enfants, notamment face à des figures d’autorité et appelle à une mobilisation collective.
Que révèlent les affaires Bétharram et Le Scouarnec sur les violences faites aux enfants ?
L’affaire Bétharram, comme celle du chirurgien Joël Le Scouarnec, démontrent les graves défaillances de notre société en matière de protection de l’enfance. Et j’irai encore plus loin parce qu’elles démontrent l’incapacité à écouter et à croire les enfants lorsqu’ils dénoncent des violences sexuelles.
Pour rappel, l’affaire de Bétharram concerne des religieux accusés d’abus sexuels sur des mineurs pendant plusieurs décennies. Quant à l’affaire Le Scouarnec, rappelons-le, il s’agit quand même de l’une des plus grandes affaires de pédo-criminalité en France. Le procès qui s’est achevé il y a quelques semaines a reconnu l’ancien chirurgien coupable de crimes sexuels pendant plus de 25 ans sur près de 300 patients, qui étaient majoritairement des mineurs.
“Ces deux affaires sont tristement représentatives d’un schéma encore trop fréquent ; et même si des progrès ont été accomplis depuis l’époque où les faits se sont déroulés dans ces affaires, la parole des enfants et des jeunes victimes de violences — qu’elles soient sexuelles, physiques ou verbales — reste trop souvent ignorée ou discréditée. ”
Leurs témoignages sont minimisés, négligés, voire délibérément étouffés, en particulier lorsqu’ils mettent en cause des figures d’autorité telles que des enseignants, des professeurs ou des médecins.
Pourtant, les chiffres sont sans appel.
300 millions d’enfants âgés de moins de 5 ans dans le monde subissent régulièrement des violences physiques et/ou psychologiques.
En France, le nombre de victimes mineures de violences physiques ne cesse d’augmenter. Selon l’Observatoire des droits de l’enfant. En 2016, on recensait 53 928 mineurs victimes, contre 96 718 enfants en 2022. Plus de la moitié de ces violences (54 %) ont lieu dans le cercle familial.
“Ces affaires sont des signaux d’alarme. Il est impératif de créer et de garantir des espaces d’expression sûrs, où chaque enfant peut se confier, sans crainte de jugement ni de représailles. Et surtout, où sa parole sera entendue avec sérieux, rigueur et respect.”
Selon vous, quelles mesures devraient être mises en place pour éviter que de telles situations se reproduisent ?
La protection des enfants ne peut plus être laissée à l’appréciation individuelle des institutions. Il est urgent d’instaurer des mécanismes de contrôle stricts, réguliers, indépendants et surtout systématiques dans toutes les structures accueillant des enfants (structures dépendant de l’ASE ou de la PJJ, écoles, hôpitaux, établissements religieux, clubs sportifs, centres médico-sociaux) – sans exception, et quel que soit leur statut, y compris ceux relevant du secteur privé ou associatif.
“Il ne peut plus y avoir de zones d’ombre. Il faut un système d’alerte et de signalement efficace, qui protège d’abord les enfants et non la réputation d’une institution ou d’un adulte.”
Cela suppose également de garantir l’anonymat des signalements, de protéger les lanceurs d’alerte – qu’ils soient enfants, parents ou professionnels – et de sanctionner toute forme de dissimulation ou d’inaction. Mais au-delà des mesures institutionnelles, il est urgent de donner toute sa place à la parole des enfants dans la société toute entière. Protéger un enfant, c’est reconnaître que sa parole compte, au même titre que celle d’un adulte – voire davantage, car elle vient souvent briser un silence que d’autres auraient préféré maintenir.
La peur d’ébranler l’image d’un adulte ou d’une institution prend encore trop souvent le pas sur la nécessité de protéger l’enfant. Cette culture du doute, ce réflexe de protection des adultes au détriment des victimes, doit être déconstruit.
La prévention passe aussi par la formation obligatoire de tous les professionnels en contact avec des enfants : savoir repérer les signes de violences, savoir accueillir les confidences d’un mineur pour mieux orienter et signaler si besoin.
Que préconise l’UNICEF France pour renforcer la prévention et la détection des violences faites aux enfants ?
L’UNICEF France appelle à une mobilisation forte, ambitieuse et transversale, car il s’agit avant tout d’un enjeu collectif.
La protection de l’enfance doit devenir une priorité absolue. Pour y parvenir, cela passe par une politique active de prévention, de formation, de détection et de signalement des violences.
“Il faut agir sur plusieurs fronts : du renforcement des systèmes de la protection de l’enfance, au déploiement des programmes afin de prévenir et répondre aux violations des droits des enfants mais aussi en développant des campagnes pour faire évoluer les normes sociales.”
Nous réitérons donc notre demande d’avoir un Ministère de l’Enfance de plein exercice. C’est la condition sine qua non pour faire de l’enfance une politique prioritaire dotée de moyens suffisants.