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Un enfant marche dans une rue le 31 mars 2017 dans le quartier Matine-Leblond de Cayenne, en Guyane. © Jody Amiet / AFP
© Jody Amiet / AFP

Adeline Hazan : «Les inégalités d’accès aux droits persistent en Guyane»  

Après sa première mission au Liban, c’est en Guyane que notre présidente, Adeline Hazan, s’est récemment rendue pour constater la situation des enfants. Elle témoigne.

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette mission et nous expliquer la spécificité de la Guyane ? 

La Guyane est située à 7 000 kilomètres de l’Hexagone. Sa situation géographique se distingue profondément de celle de la Martinique et de la Guadeloupe situées au sein de l’archipel des Caraïbes. C’est en effet le seul territoire d’Outre-mer non insulaire, puisque la Guyane se trouve sur la côte nord-est de l’Amérique du sud, aux confins du Suriname à l’ouest et du Brésil à l’est.

C’est à la fois le plus grand département français (près de 84 000 km²) mais aussi le moins peuplé. On compte 3 habitants au kilomètre carré. On comptabilise actuellement 300 000 habitants mais le taux de natalité est très élevé. Entre 2011 et 2021, la population a augmenté de 80%.

Couverte à 97% par la forêt amazonienne, c’est avant tout un territoire très hétérogène. La population se concentre essentiellement sur le littoral, sur l’île de Cayenne et à Saint Laurent du Maroni.  L’aménagement territorial de la Guyane constitue un défi pour les communes les plus isolées, pour lesquelles l’avion ou la pirogue sont les seuls moyens de transport. Les déplacements en pirogues sont particulièrement chers, souvent prisés, et exigent surtout beaucoup de temps.

Qu’est-ce qui vous frappé lors de votre visite ?

La pauvreté. Le revenu moyen s’élève à 920 euros par mois (contre 1 700 euros par mois en France hexagonale). C’est presque la moitié par rapport à l’Hexagone, pourtant les prix en Guyane y sont en moyenne supérieurs de 17,6%. Les produits alimentaires sont plus élevés de 39% entre la Guyane et l’Hexagone.

La pauvreté affecte la vie des enfants de nombreuses manières et notamment en compliquant l’accès aux services. Le territoire peine à attirer des enseignants, des médecins ou des agents sur place et de nombreux postes sont vacants.

Par ailleurs, l’éducation des enfants est mise en péril. Du fait des conditions territoriales, il y a des écoles situées près du littoral mais très peu dans les terres. A l’ouest du territoire, quelques établissements scolaires mais le niveau d’éducation s’arrête au collège. Les enfants sont alors contraints d’aller dans les écoles sur le littoral. Les familles doivent dès lors faire face à de nouveaux défis. Si elles ont la capacité de couvrir les coûts, elles doivent trouver des familles « hébergeantes » où l’enfant pourrait vivre pour poursuivre sa scolarité. Sauf que par manque de disponibilités, certaines familles peuvent accueillir jusqu’à 10 enfants. On estime que plusieurs milliers d’enfants ne sont pas scolarisés en Guyane.

Et enfin, il y a le plurilinguisme. Il y a près de 40 langues parlées sur le territoire. Pour 70% des enfants, le français n’est pas considéré comme leur langue maternelle. Et justement, c’est aussi le plaidoyer que nous faisons auprès de l’Etat pour que les langues soient reconnues et pour développer des programmes pluri-linguistes et plus inclusifs.

L’UNICEF a publié un rapport sur le droit à l’éducation en Guyane en 2021. Et cette année, vous publiez un nouveau rapport sur la situation des enfants en Outre-mer avec un focus sur la Guyane. Qu’est- ce qui a changé depuis ?

Effectivement, en 2021 nous avons publié le rapport « Guyane : les défis du droit à l’éducation » avec le soutien des Défenseurs des Droits, qui dressait un constat alarmant sur les défis du droit à l’éducation des enfants en Guyane. Il a permis de formuler des premiers constats sur les difficultés d’accès à l’école pour les enfants.

Le présent rapport « Grandir dans les Outre-Mer : états des lieux des droits de l’enfant » s’inscrit dans la continuité de la précédente étude sur la Guyane.  L’UNICEF France a choisi de mener une analyse pour approfondir la situation des droits de l’enfant dans l’ensemble des collectivités territoriales d’Outre-mer.  Dans ce rapport, l’UNICEF France souhaite documenter la situation et la spécificité de chaque territoire. Nous formulons plus de 70 recommandations pour améliorer la mise en œuvre des droits de l’enfant, en proposant autant que possible des méthodes pour leur réalisation.

“En cette Journée internationale des droits de l’enfant, nous souhaitons placer les problématiques et les droits des enfants au cœur des discussions des pouvoirs publics et mener des actions de sensibilisation de l’opinion publique aux droits des enfants en Outre-mer qui ne sont pas respectés.”

Quelles sont les principales différences entre les conditions de vie des enfants en Hexagone et celles des enfants en Outre-mer, et particulièrement en Guyane ?

Tous les paramètres de la vie des enfants sont plus difficiles dans les Outre-Mer que dans l’Hexagone.

La France bénéficie d’un état civil très avancé, mais les dernières observations du Comité des droits de l’enfant, publiées en juin 2023, mentionnent la nécessité de poursuivre les efforts en matière d’enregistrement des naissances dans les territoires ultramarins. Plusieurs acteurs locaux ont en effet rapporté des difficultés en matière d’enregistrement des naissances, notamment au sein de populations qui vivent dans des zones frontalières ou très isolées.

Concernant la Guyane, les principales différences avec l’Hexagone concernent la pauvreté, les grossesses précoces et l’accès à l’eau.

Il faut savoir qu’en Guyane :

6 enfants sur 10 sont en situation de pauvreté

41,50% de la population avait moins de 20 ans en 2020

15% de la population n’a pas accès à l’eau potable

11% des grossesses précoces concernent des jeunes filles mineures (contre 1% en Hexagone)

Ces chiffres sont sidérants.

Quel est le mandat de l’UNICEF dans les collectivités territoriales d’outre-mer ? Et quelles sont les prochaines étapes ?

Le mandat de l’UNICEF est le même que celui dans l’Hexagone. Simplement, pour le moment, nous n’avons pas de Comité de bénévoles dans les Outre-mer, à l’exception de la Réunion.  Pour décliner ces recommandations localement, l’UNICEF France tient à travailler avec l’ensemble des acteurs mobilisés (collectivités, agences régionales, etc.…).

En Guyane par exemple, nous avons un collaborateur basé à Cayenne depuis 2020 et notre objectif est de poursuivre le travail de plaidoyer entamé depuis. Nous sommes en contact avec des enseignants qui souhaiteraient agir à nos côtés et sensibiliser les enfants sur leurs droits et sur la CIDE, notamment dans les écoles.

Ces territoires ne doivent pas être oubliés. Fort heureusement, les choses bougent depuis quelques années mais il faut passer à la vitesse supérieure pour que ces problématiques soient au cœur des discussions des pouvoirs publics.

Nous appelons à une prise de conscience et une action ambitieuse pour garantir les droits de chaque enfant dans chaque territoire.